Les villages perchés des Vosges : reflets d’une histoire au sommet

L’expression “village perché” évoque d’abord la Provence, mais les Vosges lorraines, elles aussi, recèlent une mosaïque de hameaux blottis contre les pentes ou dressés sur leurs éperons. Ces villages, comme Le Haut-du-Tôt, La Petite-Fosse, Ventron ou encore Saulxures-sur-Moselotte, naquirent pour la plupart du double besoin de sécurité et de maîtrise de l’espace agricole. Ici, l’altitude protègeait des inondations et des conflits tout en offrant, une fois la brume dissipée, une ouverture inégalée sur la grande vallée vosgienne.

Ces villages perchés, souvent situés entre 600 et 900 mètres d’altitude, offrent des panoramas saisissants et constituent des refuges pour une faune et une flore qui ont bravé le temps et les tempêtes du massif. Le Haut-du-Tôt, pavillon oriental du canton de Gérardmer, se targue d’être le village le plus haut des Vosges (828 m), tandis que d’autres, accrochés en balcons, veillent sur les vallées de la Moselotte ou du Chajoux.

Cartographie des sentiers de liaison : un réseau ancien, vivant et durable

Le relief du massif favorise depuis des siècles la circulation pédestre : cols, crêtes, chemins forestiers, pistes d’alpage et sentiers balisés tissent un maillage où randonneurs et villageois croisent leurs pas. Le Club Vosgien, fondé en 1872, a posé les jalons d’un balisage aujourd’hui reconnu comme l’un des plus denses de France : plus de 20 000 kilomètres de sentiers entretenus dans le massif, dont plusieurs relient expressément les villages perchés (source : Club Vosgien).

  • Sentiers de crêtes reliant, par exemple, Ventron à Cornimont ou à la Bresse via des cols panoramiques.
  • Itinéraires de village à village, combinant chemins ruraux et forestiers, comme la traversée Le Haut-du-Tôt – La Petite-Fosse.
  • Circuit du Chemin Vert, entre Granges-sur-Vologne, Sapois, Rochesson et le Haut-du-Tôt.
  • Le GR531 dit “sentier des balcons”, qui longe la ligne de partage des eaux et dessert nombre de villages sur leur échine rocheuse.

Nombre de ces sentiers sont issus de voies anciennes, parfois médiévales, empruntées jadis pour commercer, se recueillir (chemins de pèlerinage), ou acheminer le bois et le fromage jusqu’aux vallées.

Itinéraires emblématiques : trois escapades de village en village

1. De Ventron au Haut-du-Tôt : une traversée des hautes Vosges occidentales

  • Longueur : 17 kilomètres
  • Dénivelé cumulé : +620 m / -530 m
  • Durée : 5 à 6 heures de marche

On quitte Ventron et son clocher à bulbe par la route forestière de la Croix de la Mission. Très vite, le paysage s’entrouvre : forêts de hêtres, clairières à myrtilles, immenses prairies fauchées à la main chaque été. Le sentier suit des crêtes qui oscillent entre 700 et 1000 m, offrant des points de vue à couper le souffle sur la vallée de la Moselotte. Au détour du col de la Croix de Fresse, on croise d’anciennes fermes typiques, issues de l’habitat dispersé vosgien, puis le chemin dévale vers Sapois ou grimpe, dernière pente, pour déboucher sur le hameau du Haut-du-Tôt, village le plus haut des Vosges, connu pour sa petite église isolée et ses paysages ouverts.

2. Autour de La Petite-Fosse : boucle forestière entre clocher et ruisseaux

  • Longueur : 14 kilomètres
  • Dénivelé : +480 m / -480 m
  • Durée : 4 à 5 heures

Située à la frontière des Vosges lorraines et de l’Alsace, La Petite-Fosse forme avec La Grande-Fosse une paire de villages perchés typiques du versant ouest du massif. Un sentier balisé (rectangle bleu, balisage Club Vosgien) relie ces deux lieux, puis s’enfonce dans les forêts profondes du col du Las et du Bruyant. La boucle traverse des hameaux oubliés (le Pain de Sucre, la Houssière) où retentit, au printemps, le tambour du pic noir. Privilège rare : on longe d’anciens murets, traces d’un habitat agro-pastoral façonné au fil des siècles.

3. Circuit du Chemin Vert : du Sapois à Rochesson et jusqu’au Haut-du-Tôt

  • Longueur : 22 kilomètres (possible en étapes)
  • Dénivelé : +730 m / -670 m
  • Durée : 7 heures (ou, à fractionner en 2 jours avec une nuit en gîte à Rochesson ou Haut-du-Tôt)

Le Chemin Vert, ainsi nommé en hommage aux anciennes voies rurales sur gazon, serpente à travers plaines, bois et pâtures. Depuis Sapois, le sentier grimpe vers Rochesson, village de moyenne altitude (650 m), réputé pour ses charmes paysagers et artisans du bois. Après une halte à la ferme-auberge du Pré Martinet, la montée finale conduit, au gré des fougères et des campanules, au Haut-du-Tôt. Points de vue notables : le Saut du Bouchot (cascade spectaculaire), le rocher du Pain-de-Sucre et la table d’orientation du Haut-du-Tôt.

Ces itinéraires, accessibles à de bons marcheurs mais sans difficulté technique majeure, sont à privilégier entre mai et octobre. L’hiver, certains tronçons sont praticables en raquettes (portions du Chemin Vert, entre Rochesson et le Haut-du-Tôt).

Les sentiers, fil rouge d’un patrimoine naturel et humain

Marcher dans les Vosges ne se limite pas à relier deux églises ou deux marchés. Chaque portion de sentier traversée raconte une histoire : celle des “Haies” – ces lisières ponctuées d’arbres fruitiers –, des anciennes “feyditas” (terres en jachère, mot vosgien), ou encore des exploitations agricoles familiales dont les fermes en bande apparaissent comme des paquebots de pierre.

  • Lieux-dits pittoresques : Les Huttes, Chez Nanon, La Roche du Diable… autant de noms que l’on croise sur le balisage, tous porteurs de souvenirs locaux.
  • Ehpad naturels : Les forêts abritent encore des sapins pluricentenaires, tel celui dit “de la Vierge”, près du col de Mandray (plus de 250 ans d’âge, source : Office National des Forêts).
  • Patrimoine bâti : Fermes à auvent, fontaines “à cigogne” du 19e siècle, croix d’occulte en grès, menhirs statufiés dans la mousse – tout un musée à ciel ouvert ponctue les trajets.

Les abords des villages perchés sont aussi zones de convergence pour nombre d’espèces remarquables : chamois réintroduits près du Hohneck, faucons pèlerins sur les falaises du Petit Honneck, orchidées sauvages sur les chaumes. De mai à juillet, le territoire accueille notamment 15 des 28 espèces d’orchidées sauvages recensées dans le massif (source : Conservatoire botanique de Nancy).

Praticité, sécurité et respect : conseils pour arpenter les sentiers des villages perchés

  • Balisage : S’en remettre aux marquages Club Vosgien (rectangle, triangle, rond et croix de couleur) dont la maintenance est un gage de sérieux. La carte IGN Top25 “Gérardmer / La Bresse / Le Hohneck” (3618OT) constitue la référence papier incontournable.
  • Fréquentation : Hors mois d’août, les chemins voient passer moins de 10 randonneurs par jour sur certains tronçons entre villages ; respecter le silence et le rythme local demeure essentiel.
  • Climat : Éviter les passages de crêtes par météo orageuse, privilégier des chaussures étanches (sol détrempé fréquent même en été) ; les températures peuvent varier de 10 à 15°C dans la même journée.
  • Bivouac : Interdit en dehors des aires désignées. Privilégier gîtes ruraux ou fermes-auberges pour la nuit.
  • Transport : Accès aux villages souvent possible en saison par la ligne de bus Livo (Région Grand Est) ou par navettes locales, mais horaires limités, voiture recommandée pour certains départs isolés.

Prendre le temps de saluer les habitants rencontrés, respecter les clôtures et signaler toute anomalie au Club Vosgien ou à la mairie du village sont des gestes simples qui maintiennent vivant le fragile équilibre entre nature, patrimoine et découvertes.

Quelques anecdotes et haltes singulières

  • À Le Haut-du-Tôt, la Fête des Fleurs, chaque été, illumine tout le village d’œuvres horticoles grandeur nature, rappelant que ces hauteurs furent longtemps terre de jardins médicinaux.
  • Sur la montée de Ventron, subsiste une “table de jugeage” posée en 1858 : on y évaluait la coupe des bois avant de la répartir équitablement.
  • Dans les fermes de Rochesson, on raconte que les loges à bétail étaient autrefois construites de plain-pied pour faciliter la sortie des vaches en hiver, lors des tempêtes de neige.

Les chemins reliant les villages perchés des Vosges ne forment pas seulement des itinéraires sportifs : ils sont, par essence, des traits d’union vivant entre les mondes d’hier et d’aujourd’hui, entre nature souveraine et humilité humaine.

S’ouvrir aux villages : explorer la Lorraine du haut de ses sentiers

Arpenter la montagne vosgienne de village en village, c’est écouter battre le cœur discret d’une Lorraine secrète, qui se dévoile au rythme des pas et des saisons. Ici, chaque sentier devient une clef pour comprendre un territoire façonné par les vents, les hommes et les siècles.

Les villages perchés invitent à transcender l’horizon familier, à se laisser surprendre par la diversité des paysages, des traditions et des rencontres. Qu’il s’agisse d’une randonnée sportive ou d’une balade contemplative, tous les chemins qui mènent de hameau en hameau font résonner la même promesse : découvrir la montagne, autrement, simplement, et passionnément.

En savoir plus à ce sujet :