Un patrimoine naturel unique, fragile et vivant

Le massif des Vosges, frontière douce entre la Lorraine et l’Alsace, se déploie comme un écrin de nature. Forêts denses, tourbières mystérieuses, montagnes ondulantes et vallées ombragées accueillent une faune discrète et variée. Depuis trente ans, la dynamique de protection et la gestion raisonnée de ces espaces permettent l’émergence ou la stabilisation d’espèces emblématiques, du cerf majestueux au discret chat forestier, de l’aigle botté au lynx réintroduit.

Mais observer la faune dans les Vosges ne relève jamais du simple hasard ni du spectaculaire. C’est une pratique exigeante, qui réclame respect, patience, silence et connaissance des écosystèmes. En Lorraine, 20% de la superficie du département des Vosges est boisée (IGN), ce qui offre d’immenses possibilités pour l’observation naturaliste – à condition de se fondre dans le paysage.

Comprendre les milieux naturels vosgiens : forêt, tourbières, prairies et hauts sommets

  • Forêts de hêtres et de sapins : Les chaînes forestières couvrent la majeure partie du massif. On estime à 184 000 hectares la surface forestière des Vosges (DREAL Lorraine). On y croise chevreuils, cerfs et sangliers, souvent à l’aube ou au crépuscule.
  • Tourbières et zones humides : Autour du pays de Bitche, du Donon ou du Lac de Lispach, ces milieux abritent amphibiens, libellules, cistudes et oiseaux rares comme la grue cendrée de passage en migration (PNR Vosges du Nord).
  • Prairies d’altitude et chaumes : Dès 800 mètres, la forêt laisse place à la pelouse alpine. Chamois, hermine, faucon crécerelle ou engoulevent d’Europe trouvent là refuge, loin de la fréquentation des vallées.
  • Rivières et étangs : Les rives du lac de Gérardmer ou de la Moselle voient le ballet du cincle plongeur, du castor d’Europe, ou parfois de la cigogne noire, rare et silencieuse.

Où et quand observer la faune dans les Vosges ?

Moments privilégiés pour l’observation

  • L’aube et le crépuscule offrent les meilleures chances d’observation sans déranger les animaux diurnes ou nocturnes.
  • La période du brame du cerf, de mi-septembre à début octobre, est un temps fort, particulièrement dans les forêts domaniales de Rambervillers, de Darney ou de Gérardmer (ONF).
  • Le printemps, période de naissance et d’émergence, oblige à une discrétion accrue pour ne pas compromettre la survie des jeunes.

Quelques spots remarquables, à aborder avec humilité

  • La réserve naturelle du Frankenthal-Missheimle : Altitude, pins sylvestres, chaos rocheux : le site est réputé pour les chamois, qui se laissent rarement approcher à moins de 100 mètres.
  • Le massif du Hohneck : À la croisée des sentiers GR5 et GR531, il accueille parmi les populations de chamois les plus vigoureuses du massif vosgien. Par temps clair, faucons pèlerins et busards viennent tutoyer les falaises.
  • Les tourbières du Lispach et du Ténine : À observer, de loin, amphibiens (tritons palmés, grenouilles rousses) et oiseaux migrateurs comme le pipit spioncelle.
  • La vallée du Rabodeau : Fief du chat forestier, de la martre et du pic noir. L’hiver, sur les traces fraîches, on devine la présence bien plus qu’on ne la contemple.
  • Forêt de Darney : Elle couvre à elle seule près de 15 000 hectares, avec des hêtraies-sapinières préservées. Belle chance d’apercevoir sangliers ou blaireaux si l’on est patient, silencieux — et chanceux.

Respecter les écosystèmes et adopter une conduite responsable

Pourquoi la faune locale est sensible

Les espèces animales vosgiennes occupent des niches souvent fragiles, isolées par des routes ou des pratiques humaines (vtt, moto, chasse non durable). Beaucoup sont en situation marginale ou en cours de recolonisation (lynx boreal, cigogne noire). Une observation intrusive peut avoir des séquelles durables : abandon de nichées, fuite des jeunes, stress augmentant la mortalité, dérangement en période de gestation.

Quelques chiffres : dans le Parc naturel régional des Ballons des Vosges, 60% des zones de quiétude du Grand Tétras sont menacées par des pratiques de randonnée hors sentier et le développement d’activités motorisées, selon le rapport 2022 du PNRBV. Il faut savoir que seul un quart des jeunes Grand Tétras survivent à leur premier hiver (PNRBV).

Bons gestes et éthique naturaliste :

  • Restez strictement sur les sentiers balisés. Les zones balisées épargnent les aires de reproduction et limitent l’érosion du sol.
  • Approchez toujours à bonne distance, avec jumelles/longue-vue (minimum 50 m pour les ongulés, 100 m pour les oiseaux en nidification).
  • Évitez le bruit, privilégiez vêtements ternes et sacs à dos discrets. Le camouflage auditif et visuel est le meilleur allié du promeneur respectueux.
  • N’utilisez ni appâts, ni appeaux électroniques (interdits par la loi sur la Faune : art. L415-3 du Code de l’environnement).
  • Ne laissez aucune trace de passage — déchets, plastiques, restes alimentaires peuvent attirer et perturber la faune.
  • En présence d’animaux, n’ayez aucune interaction, n'approchez pas des jeunes animaux (sous peine de les condamner à l’abandon).
  • Signalez toute espèce rare ou blessée aux équipes du Parc ou à l’Office français de la biodiversité.

Des espèces emblématiques à découvrir dans les Vosges

Le cerf élaphe, roi des forêts lorraines

Trois mille à quatre mille individus arpentent les espaces boisés entre Épinal, Vittel et la ligne des crêtes (ONCFS). Le brame, audible sur des kilomètres, attire chaque automne de nombreux curieux : préférez l’écoute lointaine à l’approche, pour préserver la quiétude des hardes.

Le lynx boréal, retour d’un fantôme

Disparu depuis le XIX siècle, le lynx réapparaît dans les Vosges grâce à des opérations de réintroduction débutées en 1983. On estime aujourd’hui entre 15 et 20 individus adultes sur l’ensemble du massif, souvent détectés par pièges photographiques (Lynx France). Sa discrétion extrême ne laisse voir que des traces dans la neige, ou des empreintes sur la mousse après la pluie.

Le Grand Tétras : un fragile symbole alpin

Moins de 200 coqs et poules subsistent côté Vosges (PNRBV), l’espèce étant en déclin critique. Il est interdit de chercher activement à observer cette espèce : croiser sa silhouette en lisière d’une chaume reste un privilège rare, fruit du hasard.

Le chat forestier et la martre

Le chat forestier, espèce protégée, est abondant dans les Vosges (entre 500 et 1000 individus selon la SFEPM), invisibles pour le randonneur distrait mais parfois observable à l’aube, longeant les lisières pour chasser campagnols et oiseaux. La martre, funambule poétique, se laisse deviner dans les branches mortes ou l’ombre d’un vieux tronc, tandis que la genette reste une absolue énigme.

L’avifaune remarquable

  • Aigle royal : Venu des Alpes, il niche désormais sporadiquement sur les balcons vosgiens.
  • Faucon pèlerin : Au moins 15 couples nicheurs sur les falaises du Rothenbachkopf (données Ligue de Protection des Oiseaux Lorraine, 2022).
  • Pic noir, chouette de Tengmalm, engoulevent d’Europe et pipit spioncelle : Autant d’oiseaux de l’ombre, véritables trésors du paysage sonore vosgien.

Les insectes – libellules, criquets, papillons (dont le rare damier de la succise) – sont à rechercher sur les tourbières et prairies maigres du plateau lorrain.

Accompagner et apprendre : sorties, guides et applications au service de la nature

Bien des associations proposent des sorties d’observation, toujours guidées par des naturalistes aguerris respectant scrupuleusement la faune : le Groupe Mammalogique d’Alsace et de Lorraine, les guides du Parc naturel régional des Ballons des Vosges, ou les balades découvertes organisées par la Réserve naturelle de Tanet-Gazon du Faing.

Des applis populaires (INPN Espèces, Naturalist) aident à reconnaître cris, traces, rails ou silhouettes. Photographier traces, crottes, nids, sans jamais toucher l’habitat, contribue déjà à la connaissance participative (programme Vigie-Nature du Muséum national d’Histoire naturelle), tout en restant dans l’invisible.

L’essentiel demeure : entendre, ressentir, croiser un chevreuil entre deux troncs, écouter le tambour du pic noir au loin, respirer le grésil du matin — plus que l’image, c’est la rencontre furtive, intense et respectueuse, qui donne au promeneur le sentiment de l’authentique.

L’appel des Vosges : une nature qui se mérite

La faune sauvage des Vosges, rare mais robuste, ne se livre qu’aux curieux patients, aux âmes discrètes qui savent que regarder, c’est déjà protéger. Le massif vosgien, loin d’être un parc animalier, exige humilité, retenue et engagement à la mesure de sa fragilité. Suivre le chevreuil sans le troubler, deviner le lynx dans la brume, écouter la chouette dans la nuit d’encre : une expérience profonde, qui relie le visiteur à l’âme de la Lorraine.

Que chacun laisse derrière lui des sentiers intacts, partage plutôt ses observations que ses traces, et trouve dans la contemplation de la faune vosgienne un émerveillement respectueux, lucidement engagé dans la préservation de ce patrimoine commun.

En savoir plus à ce sujet :